Après avoir bouclé son premier Vendée Globe en 2017, Fabrice Amedeo réalise que naviguer ne lui suffit plus : il veut donner du sens à son projet sportif. « Il fallait que je m’engage pour une cause qui me dépasse. Après avoir couru les océans durant une décennie avec une forme d’insouciance face à leur situation de plus en plus catastrophique, j’ai décidé d’apporter ma modeste brique à l’immense édifice de ce qu’il faudrait faire pour sauver notre planète ».
Marin, citoyen et père de famille, Fabrice, qui navigue sur toutes les mers du globe et traverse des régions reculées où les expéditions scientifiques ne peuvent pas se rendre, décide alors de mettre son 60’ IMOCA au service de la communauté scientifique internationale. Grâce au soutien de ses partenaires, il installe à bord de son bateau des capteurs océanographiques qui permettent de collecter des données en mer pour aider les scientifiques à mieux comprendre l’impact et les conséquences du réchauffement climatique et des gaz à effets de serre sur les océans.
Installé à bord du monocoque IMOCA Nexans-Wewise en septembre 2019, le premier capteur océanographique permet, grâce à plusieurs modules spécifiques, de mesurer la salinité et la température en surface des océans, marqueurs indispensables pour mieux comprendre l’évolution du climat et le cycle de l’eau sur Terre, mais également leur teneur en CO2. Une mesure primordiale sachant que les océans absorbent 25 à 30% des émissions relatives à l’activité humaine et 90% de la chaleur excédante, ce qui entraîne leur acidification et perturbe donc les écosystèmes marins.
Les données collectées dans les régions traversées, essentielles pour modéliser le changement climatique et appliquer des solutions adaptées, sont ensuite validées par les partenaires scientifiques du projet : l’UNESCO, OceanOPS, l’IFREMER, GEOMAR et le Max Planck Institut, avant d’être mises à disposition de la communauté scientifique internationale en « open data » via la base de données SOCAT. En 2020, Fabrice Amedeo décide d’aller plus loin en s’attaquant aux microplastiques* en mer.
Après avoir testé l’efficacité du premier capteur océanographique et validé la pertinence des données collectées avec ses partenaires scientifiques, le navigateur décide d’en installer un deuxième permettant de collecter et mesurer des microplastiques dans l’océan pendant le Vendée Globe, et notamment dans les mers du Sud, auxquelles la communauté scientifique n’a accès qu’environ une fois tous les dix ans.
Ce capteur se présente sous la forme d’un caisson contenant trois filtres destinés à collecter quotidiennement des microplastiques de différentes tailles tout au long de la course, sous réserve que les conditions météo le permettent.
« Les manipulations liées aux mesures de microplastiques sont les plus chronophages et inconfortables du programme scientifique que nous avons lancé, mais l’enjeu de la pollution plastique des océans est d’une telle urgence que je n’ai pas hésité une seconde, même si je devais sacrifier un peu de performance. Je suis très heureux que mon bateau puisse être utile à la Science ».
Le nouveau volet du projet océanographique est mené en partenariat avec l’IFREMER (laboratoire DCM), l’Université de Bordeaux (laboratoires EPOC et CBMN) et l’IRD (laboratoire LOPS), qui, réunis au sein d’un consortium, se partageront les travaux d’analyse, d’interprétation et de modélisation des résultats. L’objectif de cette mission est double : établir une cartographie de la pollution par les microplastiques dans les eaux de surface océanique et évaluer leur imprégnation chimique et leur toxicité.
* particules de plastique dont la taille est inférieure à 5 mm
Depuis 2022, Fabrice est également en mesure de collecter l’ADN environnemental, une première mondiale pour un bateau de course: L’ADN environnemental c’est tout l’ADN qui est relâché en permanence par les organismes dans leur milieu naturel par le biais d’excrétions (mucus, larves) et de sécrétions. Nous sommes aujourd’hui en mesure de filtrer l’eau de mer et d’obtenir une cartographie biologique précise de tous les organismes présents dans ce milieu, des virus jusqu’aux baleines.
Cette approche est révolutionnaire car elle permet de recenser la présence ou l’absence d’espèces rares ou en voie de disparition, mais aussi de détecter les espèces invasives et autre pathogènes.
« Faire l’inventaire du vivant permet de mesurer la santé de nos océans en temps quasi réel et donc d’en appréhender la dynamique due au changement climatique » explique Xavier Pochon, chercheur spécialisé dans la surveillance moléculaire et professeur associé en biologie marine à l’université d’Auckland.
20211107