Le sommeil : un facteur clé de la performance
Certains assurent que bien dormir est un préalable au bonheur. Pour les skippers de course au large, cela relève de la nécessité. En trois mois, impossible de ne pas être rigoureux en la matière : l’accumulation de la fatigue peut en effet avoir des conséquences graves, notamment en matière de sécurité à bord.
« Une privation de sommeil trop importante entraîne des pertes de lucidité et des hallucinations », abonde Fabrice. Dès sa première expérience en course au large, la Solitaire du Figaro en 2008, le skipper a fait appel à un médecin du sommeil pour déterminer avec précision ses « rythmes chronobiologiques » et fixer « un agenda du sommeil ». En effet, si une personne à terre dort d’un bloc 7 ou 8 heures par nuit, un coureur au large en conditions hostiles dort par petites bribes : on appelle ça le sommeil polyphasique. Ce morcellement des phases de repos tout au long du jour et de la nuit permet au médecin d’essayer d’évacuer le sommeil léger non-récupérateur pour se concentrer sur les sommeils « lent-profond » et « paradoxal », responsables de la récupération des muscles pour l’un et du cerveau pour l’autre. « Le sommeil léger représente 55 % du sommeil du terrien. Notre objectif est de l’évacuer au maximum et de permettre à Fabrice de trouver ses bonnes portes du sommeil, pour que ses temps de repos soient les plus efficaces possible. A terre, un dormeur met 40 minutes à trouver le sommeil profond en début de nuit. Un marin en sommeil polyphasique doit mettre 5 minutes dans ses épisodes de sommeil bien choisis », explique le Docteur Bertrand de la Giclais, responsable du centre du sommeil d’Annecy-Argonay.
Un marin au large passe ainsi du sommeil monophasique du terrien au sommeil polyphasique du mammifère soumis à des prédateurs.
« Cette collaboration m’a permis de gagner énormément en sérénité mais aussi en performance, souligne Fabrice. Sur le Vendée Globe, je vais dormir 6 fois 1 heure par 24 heures et serai à 100% de mes capacités physiques et mentales ». Le danger pour le marin est de tomber en dette du sommeil et d’avoir des hallucinations dites « hypnagogiques » qui perturbent son appréhension du réel. « Le premier stade de la fatigue pour moi est d’entendre le jingle de RTL ou la sirène des pompiers, explique Fabrice. Nos courses nous demandent de tels efforts, parfois à la limite, que c’est fréquent. J’ai déjà eu des hallucinations visuelles, mais grâce au travail réalisé avec le Docteur de la Giclais, ça ne m’est pas arrivé depuis plusieurs années. »
Fabrice et le médecin du sommeil sont allés encore plus loin en participant à une étude « sommeil et performance » à l’initiative de la société SOS Oxygène, spécialisée dans l’assistance respiratoire à domicile. Le but de cette étude était de mesurer le rôle de l’hormone mélatonine dans l’endormissement du marin ainsi que le rôle de la température corporelle. « Nous avons pu constater que la courbe de mélatonine de Fabrice était normale avec un pic en début de nuit lorsqu’il dort à terre, mais que dès qu’il passait en sommeil polyphasique au large, il produisait de la mélatonine de jour, ce qui a surpris les chronobiologistes », explique Bertrand de la Giclais. D’autres études sont prévues à l’avenir pour confirmer ces premières conclusions. « En plus de servir la recherche médicale, cette étude m’a permis de connaître encore plus finement mes cycles de sommeil et d’être plus performant dans mon repos donc dans mes moments de veille », se félicite Fabrice.
Pour ce Vendée Globe, le skipper a procédé à plusieurs ajustements afin de gagner en confort et en sécurité. Ainsi, il a fait faire un matelas sur-mesure agrémenté d’une ceinture identique à celles utilisées en avion pour être bien installé quelles que soient les conditions météorologiques. « Être bien calé à sa bannette permet de trouver plus facilement le sommeil paradoxal, explique le Docteur de la Giclais. Ce sommeil est indispensable à l’équilibre psychique du coureur ». Fabrice dispose également d’un cale-pieds situé au bout de son matelas, ce qui lui évitera de glisser lorsque le bateau enfourne. Autant d’aspects qui lui permettront d’avoir un sommeil le plus réparateur possible sur un bateau à foils. Un enjeu de taille quand on s’apprête à naviguer seul durant trois mois autour du monde.